Si Arte a du mal à s’engager dans une vraie politique de séries sur le long court (on attend Ainsi-soient-ils pour la rentrée), la chaîne est en train de développer une politique de mini séries événementielles. Bien avant Un écho de Frédéric Azémar, Florent Meyer et Quoc Dang Tran, Arte propose cette semaine 3x Manon, une fiction présentée et remarquée au dernier FIPA de Biarritz en janvier dernier. Initiée par Jean-Xavier de Lestrade (Soupçons) et produite par Nicole Collet (Mafiosa), 3x Manon nous propose de suivre le parcours de Manon dans un centre éducatif fermé. Un rendez-vous qui ne vous laissera pas de marbre, bien au contraire.

Manon, une adolescente tourmentée de 15 ans, vit avec sa mère dans une HLM. Une nuit, au cours d’une crise de boulimie, elle plante un couteau dans le ventre de sa mère. Miraculeusement sauve, celle-ci est hospitalisée quelques jours. Parallèlement, le juge pour enfants saisi de l’affaire oriente Manon vers un centre éducatif fermé. Tout en découvrant les rigueurs de l’institution, Manon affronte les clans des pensionnaires du centre. Notamment Lola, visiblement chef de bande qui, en compagnie de ses complices, cache du cannabis sous le lit de Manon pour la mettre en difficulté avec les autorités.

Disons le tout de suite: ne ratez pas 3x Manon lors de sa diffusion sur Arte!
Ce qu’aucune série n’est parvenue à faire en France avec la prison pour les adultes (à part peut-être la tentative Marion Mazzano sur France 2), 3x Manon l’amorce avec les centres éducatifs fermés, derniers remparts pour ces ados en perdition avant la prison pour mineur.
Cette mini-série (téléfilm?…on y reviendra) est un vrai coup de poing qui nous montre l’adolescence d’aujourd’hui, en tout cas une partie, comme l’a très bien fait très bien Skins en Grande-Bretagne. C’est un vrai parcours de vie auquel on assiste, celui d’une ado, Manon, qui appelle au secours. D’abord sa mère, avec ses crises de boulimie qui finissent par mener à l’acte qui emmènera Manon à être enfermée. Marina Fois campe une mère dure, terriblement dure avec sa fille, sourde aux appels que cette dernière lui envoie. Une fille qu’elle passe son temps à rejeter, à dénigrer même. Ces moments sont absolument bouleversant car Manon, comme n’importe quel enfant, « veut » sa mère, son amour. Elle en a besoin. Et quand celle-ci semble le lui refuser, elle lance un nouvel appel au secours, à une autre forme d’autorité cette fois, la Justice en lui déclarant qu’elle ne veut pas rentrer chez elle (la première scène chez le juge en est une parfaite illustration). Et pour interpréter Manon, il y a LA découverte de cette série, la jeune Alba Gaïa Bellugi, brillante, touchante, bouleversante même dans ce rôle.

 

Season One: Est-ce qu’il y a eu des scènes plus dures à jouer pour vous? Les scènes de boulimie par exemple?

Alba Gaïa Bellugi:  Bizarrement non ce n’est pas cette scène qui fut la plus dure. Non dès la lecture du scénario, il y a une scène qui m’a paru très dure à jouer, à rendre crédible: celle où Manon se retrouve à réparer la moto avec une clé à molette. J’étais persuadé que jamais cette scène ne rendrait bien à l’image. Je ne sais pas pourquoi.

Season One: Et comment avez vous travaillez avec Marina Foïs?

A.G-B: On a fait une ou deux séances de lecture ensemble. Et ensuite, la première scène du tournage ensemble était la scène du couteau (qu’on voit au début du premier épisode ndlr). J’avais vraiment peur mais Marina a su me mettre à l’aise, en confiance. Elle a vraiment été dans le partage avec moi, ça m’a beaucoup aidé. Mais plus largement, sur le tournage, il a tout le temps fallu être dans l’endurance, être sans arrêt en alerte et mettre de l’énergie dans ce qu’on faisait.

La jeune comédienne rappelle pour beaucoup Charlotte Gainsbourg du temps de L’effrontée (1985). Elle parvient à totalement habiter le personnage et aussi la série dans laquelle elle impose sa présence à chaque instant. A de nombreux moments, par ce qu’elle porte sur le visage, la jeune comédienne m’a vraiment beaucoup ému, tant elle est capable de véhiculer une palette d’émotions et d’intentions.
Dépassée et habitée par une violence qu’elle ne comprend pas, Manon tente de s’en sortir. Si l’acte qui l’a conduit là n’est pas anodin bien au contraire, la jeune femme n’est pas pour autant une dangereuse criminelle en puissance mais une ado à la dérive à deux doigts de basculer dans la vraie délinquance: « Dans l’angoisse permanente, Manon perçoit l’autre comme une menace. C’est un phénomène assez nouveau que ces ados perdus, sans repères. » (Jean-Xavier de Lestrade). C’est une autre des réussites de cette mini série que de ne pas sombrer dans le manichéisme, ni dans le côté moralisateur.
Au sein même de ce centre éducatif fermé, Manon sera tiraillée entre celles et ceux qui veulent l’aider, en particulier son éducateur Lucas Rivière, et le poids de l’administration qui a du mal « à faire » par manque de moyens. Si la jeune Alba est parfaite dans le rôle, ses partenaires de jeu ne sont pas en reste non plus, qu’ils s’agissent de Alix Poisson, Yannick Choirat, ou de jeunes comédiennes comme Claire Bouanich.

Un seul bémol à ce tableau: le rythme. 3x Manon (au titre particulièrement mal choisi et censé représenter les 3 visages différents de Manon dans la mini série ndlr) possède en elle tout ce qu’il faut de potentiel narratif pour en faire une série. Oui une série et non un téléfilm découpée en épisode. Ce qu’est aujourd’hui 3x Manon et ce n’est pas du tout honteux, il y a de remarquables téléfilms. Mais comme le contenu a été raboté pour être ramené à un téléfilm de 2h50, on sent par moment que la narration « accélère » des moments qu’on aurait aimé voir développer (les crises de boulimie de Manon dans le centre sont parfois un peu survolée alors qu’il y aurait tant à creuser). L’histoire est si forte et si intense qu’on aurait souhaité qu’elle prenne plus son temps pour nous raconter le parcours de vie de ces jeunes filles, la façon dont elles vivent dans le centre, ce que ressentent les éducateurs et comment ils vivent certaines décisions à prendre, le poids de l’administration sur le directeur du centre,…Bref, le potentiel est fort mais bâclé pour rentrer dans le cadre du téléfilm. Dommage car je persiste à croire que, comme Skins l’a fait avant, 3X Manon aurait pu, à sa manière, être une série montrant un visage de la jeunesse d’aujourd’hui, ses doutes, ses questionnements,… par le prisme de ce cadre si particulier.
Même si une suite semble déjà programmée (et c’est tant mieux, car la fin arrive un peu de nulle part je trouve, est un peu « brutale »), on aurait aimé en voir plus de cette histoire.

3x Manon est donc une totale réussite, servie par une histoire solide et portée par un casting qui tient vraiment la route. La jeune Alba Gaïa Bellugi est, et je le répète volontiers, LA belle découverte de ce programme (que les autres veuillent bien par avance me pardonner), une jeune comédienne qu’il faudra surveiller à l’avenir. Bien écrite et bien réalisée, 3x Manon est une des belles réussites de ce début 2014, une fiction coup de poing comme on voudrait en voir plus.

Crédits: Arte