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Angie Tribeca : mais que fait la police ?

Angie Tribeca : mais que fait la police ?
Fanny Lombard Allegra

La comédie est un genre protéiforme, qui admet une multitude de déclinaisons. Ironie mordante, comique de répétition, situations absurdes, second degré, réparties spirituelles, exagération, décalages, quiproquos, humour noir, calembours… Les moyens de faire rire ne manquent pas, du plus subtil au plus grossier. Nouvelle série lancée sur TBS en Janvier dernier, Angie Tribeca a de toute évidence choisi son camp : celui de la franche déconnade. Parodie décomplexée de série policière, la nouvelle création de Steve et Nancy Carrell ne fait pas dans la dentelle. Season One a donc envoyé ses inspecteurs de l’IGS (Inspection des Gags Stupides) pour enquêter : Angie Tribeca mérite-t-elle une médaille, ou est-elle coupable de tentative de meurtre par vannes foireuses ?

Angie Tribeca (Rashida Jones – Parks and Recreation) est une inspectrice du LAPD, au sein de la RHCU (Real Heinous Crimes Unit – Unité des Crimes Vraiment Haineux). C’est une dure à cuire, entièrement dévouée à son travail : tous les matins,  elle entame sa journée par une séance d’entrainement musclée, au cours de laquelle elle martèle un sac de frappe, puis une lampe, une chaise… jusqu’à détruire méthodiquement l’ensemble de son mobilier. Indépendante, elle aime à faire cavalier seul, et c’est donc avec beaucoup de réticence qu’elle apprend qu’on lui a assigné un nouvel équipier en la personne de Jay Geils (Hayes MacArthur – Perfect Couple). A sa décharge, Angie a de quoi être échaudée : elle est tombée amoureuse de ses 236 partenaires précédents, et tous sont morts en service. Mais son supérieur, l’autoritaire lieutenant Atkins (Jere Burns – Justified) ne lui laisse pas le choix, et les deux inspecteurs vont devoir travailler ensemble : chantage, meurtre, vol d’œuvres d’art ou encore trafic de furets font partie des enquêtes loufoques qui leurs sont confiées.

La comédie policière semble avoir le vent en poupe sur les écrans du monde entier : Season One vous présentait récemment la série espagnole Olmos y Robles, le succès de Brooklyn 99 ne se dément pas, et les britanniques ont dégainé l’année dernière une parodie ridicule (et donc réussie) des classiques des années 70/80 à la Starsky et Hutch, intitulée Top Coppers. Mise à part cette dernière, ces séries restent toutefois des comédies traditionnelles – Brooklyn 99, par exemple, n’est en définitive qu’une variation de la comédie de bureau prenant place dans un commissariat et elle reste dans les limites du crédible, en dépit de son exagération. Ce n’est certainement pas le cas de Angie Tribeca. Née de l’imagination de Steve Carrell et de son épouse Nancy, elle s’inscrit dans la lignée de Mr Gun ou de Police Squad (série du trio Zucher – Abrahams – Zucker, qui a précédé les inénarrables films Y a-t-il un flic…), à grands coups de jeux de mots idiots, de gimmicks ridicules et de personnages outranciers. Pensez Hot Shots !, Scary Movie, Max la Menace (du même Steve Carrell…) : ça y est, vous y êtes.

On devine d’emblée que les enquêtes sont accessoires, et c’est tellement vrai que le titre de certains épisodes dévoile d’emblée l’identité de l’assassin (« The famous ventriloquist did it ») Comme tout bon procédural à la NCIS ou Les Experts, chaque épisode est centré sur une affaire, conclue ici en 30 minutes. Les scénarii sont superficiels et prévisibles – mais le suspense ou les intrigues complexes ne sont pas ce que l’on attend d’Angie Tribeca. Leur diversité, en revanche, permet à la série de s’attaquer joyeusement à tous les clichés inhérents au genre (interrogatoire, tapissage, bombe humaine, enlèvement, course-poursuite, infiltration…) en se renouvelant systématiquement. La trame de fond n’est donc qu’un prétexte et sert de support à tout un arsenal comique.

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Et de ce côté-là, on peut dire qu’Angie Tribeca sort l’artillerie lourde, et elle dégaine dès le générique, clin d’œil à celui des Experts : Miami – à ceci près qu’au cri guttural de Roger Daltrey des Who se substitue le hurlement de douleur d’un pauvre flic, qui parvient à se blesser d’une manière différente à chaque fois… Le ton est donné : à l’image de sa séquence d’ouverture, Angie Tribeca repose essentiellement sur l’absurde et l’outrance avec laquelle elle exagère les lieux communs et les passages obligés de toute série policière qui se respecte, jusqu’à la démesure et au ridicule. Lorsqu’un ventriloque est retrouvé mort, on autopsie d’abord sa marionnette, sans faire cas des copeaux de bois qui giclent à travers le labo ; un des policiers fait équipe avec un berger allemand nommé David Hoffman, qui prend régulièrement le volant de leur voiture de service ; lorsque le lieutenant lance « Prenez un siège », Angie et son partenaire emportent les fauteuils ; l’un des suspects s’appelle Fisher Price et la médecin légiste est le Dr Scholl ; les paroles de Call me maybe de Carly Rae Jepsen deviennent des lignes de dialogue ; une jeune recrue vomit systématiquement sur toutes les scènes de crime, y compris sur un simple cambriolage ; à la veuve éplorée qui lui enjoint d’arrêter « l’animal » qui a assassiné son mari, Angie répond : « Bien sûr, Madame. Mais nous pensons que c’est un humain qui a fait ça. » Tout est à l’avenant. Très primaire, l’humour de la série se révèle parfois plus confidentiel – il faut par exemple noter la récurrence des homonymes de musiciens célèbres parmi les personnages (Jay Geils, Alan Parsons, Wilson Phillips), ou la présence du maire de Los Angeles dans le rôle… du garde du corps du maire de Los Angeles !

Evidemment, toutes les saillies et tous les gags ne fonctionnent pas forcément, et certains tombent carrément à plat. Mais la cadence soutenue nous garantit une autre plaisanterie pour relever le niveau dans la seconde qui suit. Même le plus blasé des téléspectateurs n’a pas le temps de s’ennuyer : c’est un véritable feu d’artifice, avec des blagues qui s’enchaînent non-stop au rythme de 50 à la minute. C’est simple : ne clignez pas des yeux, vous risquez de manquer un truc ! On aura néanmoins compris que c’est un humour très, très bête – plus c’est con, plus c’est bon. Attention, n’y voyez aucun jugement de valeur : il faut une sacrée dose d’intelligence pour se montrer aussi stupide. Si l’on est adepte du genre, on rit énormément, et on rit franchement. Car il y a, dans le premier degré d’Angie Tribeca une sorte de naïveté et de fraîcheur bon enfant, qui contribue indéniablement à son charme. Si a priori, elle ne s’interdit rien, elle est assez habile pour éviter de tomber dans le scabreux ou le vulgaire, et reste exempte de sarcasme et d’ironie. C’est une série de sales gosses qui jouent aux flics, mais sans penser à mal.

Si la série parvient à trouver le ton juste, le casting n’y est pas étranger. Le risque était d’ajouter la caricature à la parodie et dans l’ensemble, les acteurs déjouent habilement ce piège en adoptant un jeu simple, presque spontané, en énonçant leurs répliques surréalistes sans sourciller tandis que leurs personnages réagissent avec naturel aux situations les plus incongrues. Rashida Jones, dont les qualités comiques ne sont plus à démontrer, est parfaite pour incarner l’héroïne : elle embrasse ce rôle déjanté avec une aisance remarquable, et il y a chez elle un mélange de désinvolture et de vivacité qui, malgré toutes les invraisemblances, rend Angie Tribeca sympathique et crédible. En renfort, Hayes MacArthur est efficace dans la peau du coéquipier, Andrée Vermeulen se révèle très drôle en médecin légiste imperturbable, tout comme Jere Burns dans le rôle du lieutenant vociférant dans son bureau ou Alfred Molina, irrésistible scientifique affublé d’un handicap physique différent à chaque épisode. Pour faire bonne mesure, on ne peut manquer de signaler la pléthore de prestigieux invités qui se sont prêtés au jeu du caméo : Lisa Kudrow (Friends) joue un témoin confus et approximatif, Bill Murray (S.O.S. Fantômes, Lost in translation) apparaît en employé de supermarché et rendez-vous galant d’Angie, et Gary Cole (The Good Wife, Veep) surprend en prof d’arts plastiques obsédé par la vengeance. D’accord : ça n’apporte pas grand-chose, mais ça fait tout de même plaisir !

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En s’inscrivant dans la grande tradition des films et séries parodiques, Angie Tribeca se moque joyeusement des séries policières traditionnelles. Elle le fait bien, et si elle ne renouvelle pas le genre, la série est extrêmement rythmée et très efficace, dès lors que l’on est sensible à ce type d’humour bien particulier. Les nostalgiques des films cités plus haut y trouveront leur compte, ainsi que les adeptes des comédies de Judd Apatow ; les autres lèveront les yeux au ciel, en se demandant comment on peut rire devant autant de lourdeur et de débilité.  Amis du sous-entendu subtil et de la finesse, passez votre chemin ! Mais si vous êtes fan des jeux de mots absurdes, des blagues grotesques et des running jokes, vous avez décroché le jackpot.  Très cloisonnant, le registre comique de Angie Tribeca la destine forcément à un certain public. Mais croyez-moi : vous saurez vite si vous en êtes, ou si vous avez tout intérêt à zapper.

Angie Tribeca – diffusée sur TBS.

10 épisodes de 26 minutes environ.

Crédit photos : TBS.

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