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Inceste et séries : une relation appropriée

Inceste et séries : une relation appropriée
Cécile Pinaud

Comme si c’était dans l’air du temps, les séries TV sont de plus en plus nombreuses à oser parler, voire montrer l’inceste. Qu’il serve de base à un épisode ou soit carrément le support d’une série, il ne s’inscrit en tout cas plus dans la liste des sujets tabous. Subversif, attractif, fascinant, horrible, il est une véritable mine d’or pour scénaristes. Un petit état des lieux s’imposait.

Cet article contient un spoiler très récent sur The Borgias signalé à un moment du texte. En revanche, les « révélations » faites sur la saison 7 de Dexter, sur la saison 1 de Bates Motel et sur Game of Thrones ne sont pas encadrées.

Il est loin le temps où Tonton Sigmund et Claude Levi-Strauss s’interrogeaient sur ce concept anthropologique qu’est le tabou de l’inceste. Toujours à l’affut de ressorts scénaristiques intéressants et pourquoi pas sulfureux, les séries TV ont laissé tomber le questionnement au profit de l’exploration entre fascination et dégoût.

 

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A ma connaissance il n’y a qu’un exemple de série qui prend les sentiments incestueux à la rigolade et en jouent souvent. Il s’agit d’Arrested Developement à travers le béguin tout ce qu’il y a de plus platonique que le jeune Georges Michael voue à sa cousine germaine. De manière générale, les relations des membres de cette famille sont étranges à commencer par le fils de 30 ans qui vit avec sa mère. Pour autant, le pseudo inceste est ici transformé en élément comique supplémentaire et redondant.

Dans un autre genre, Supernatural s’amuse beaucoup de la relation pourtant sans ambigüité des frères Winchester. Car ce sont les fans qui voient ici une bromance romantique et sexuelle. Les scénaristes ont donc récupéré l’idée avec intelligence et multiplient les clins d’œil. On se souviendra longtemps de la tête horrifiée de Dean lorsqu’il découvre que dans les fanfictions, lui et Sam sont amants !

Par essence, les choses sont autrement moins drôles dans les séries policières comme Law & Order Special Victim Unit où l’inceste prend alors la forme d’abus sexuel. En 14 ans de bons et loyaux services, Olivia Benson et ses collègues ont traité nombre d’affaires mettant en scène ce genre de comportements criminels. Si le sujet revient souvent dans cette série en raison de sa nature et de sa longévité, il fut très ponctuellement utilisé dans CSI, dans ER et dans House MD.

Dans les séries médicales, l’inceste est souvent une découverte effarante pour un couple d’amoureux et trouve son origine dans un mensonge familial. Voilà qui n’est pas sans rappeler un rebondissement de soap opera comme celui qui eut lieu dans Dynastie entre Fallon et Adam, tombés amoureux sans savoir qu’ils étaient frère et sœur. Laquelle Fallon épousera quand même deux de ses cousins !

De manière générale, les séries contemporaines sont très claires sur le sujet, un peu comme si tous les scénaristes s’étaient mis d’accord sur une charte commune : si l’inceste n’est pas consenti par les intéressés, il est horrible, répréhensible moralement et au regard de la loi, condamnable. En revanche, s’il n’y a d’abus de la part d’aucune des deux parties, il est fascinant, subversif, excitant à défaut d’être acceptable. Il faut cependant noter que cette seconde option s’accompagne bien plus rarement d’un passage à l’acte.

 

The Borgias

 

A l’heure actuelle, la forme d’inceste ou de sentiments incestueux la plus répandue dans les séries TV notamment américaines est entre frères et sœurs pour la simple et bonne raison que c’est le plus « facile » à traiter sans tomber dans l’illégalité et le problème de majorité des personnages.

Une fois de plus, ce sont les séries du câble qui se distinguent et particulièrement les séries de genre. Dans Game of Thrones, l’inceste est incarné par Cerseï et Jaime Lannister, les blonds jumeaux qui s’aiment au-delà des convenances au point d’avoir eu trois enfants dont l’odieux Joffrey, désormais sur le Trône de Fer. Cette relation, plus ou moins connue de tous, est l’un des nombreux déclencheurs de la guerre entre le Nord et Port Réal. S’ils n’avaient pas été surpris en plein ébats par Bran, Jaime n’aurait pas poussé ce dernier par la fenêtre, le menant à une paralysie et à la dégradation graduelle des relations entre les Lannister/Barathéon et les Stark. Cersei ne semble pourtant pas considérer son amour pour Jaime comme inapproprié, le dépeignant comme naturel car qui d’autre que celui qui vient du même endroit qu’elle pourrait l’aimer et la comprendre ? Le monde de Game of Thrones est vaste et les Lannister ne sont pas les seuls à franchir certaines barrières : la sœur de Cateline donne encore le sein à son fils de 10 ans, l’un des Seigneurs par delà le Mur, est marié à ses filles alors que les Greyjoy et Targaryen, frère et sœur ne sont ni timides ni pudiques.

 

ATTENTION DEBUT SPOILERS

De leur côté, les séries historiques doivent répondre à une certaine authenticité du récit comme dans The Borgias (version Showtime et non Canal Plus), une famille bien connue pour ses mœurs pour le moins dissolus. Depuis ses débuts, il y a 3 ans, la série revient régulièrement sur les liens troubles entre Cesare et Lucrezia, les deux enfants du Pape Rodrigo. Le jeune homme est depuis toujours fou d’amour pour sa sœur, moins au sens romantique qu’en terme de très profonde affection alors que Lucrezia a hissé son frère aîné sur un piédestal. Il est l’homme de sa vie qui la protège des autres hommes, un père ambitieux, un mari vieux, laid et brutal. Jusqu’à très récemment, tout n’était que jeu innocent. Mais Lucrezia n’est plus la gamine des débuts, elle a eu des amants, un enfant et doit faire face à un nouveau mariage. Privée de sexe et d’amour par un époux lâche, elle tente plus que jamais Cesare et finit dans son lit. Pour convaincre définitivement son frère, Lucrezia épouse la philosophie de Cerseï à travers cette phrase lourde de sens : « Apparemment, seul un Borgia peut réellement aimer un autre Borgia ». Dans l’épisode suivant, Neil Jordan, le créateur va encore plus loin en faisant assister Cesare au devoir conjugal de sa sœur, laquelle ne parvenant à jouir qu’en le regardant lui et non son mari.

Jamais série n’était allée si loin dans le graphique et le glauque, pas même Rome qui montrait pourtant Octavia initier son frère, futur Auguste à la demande de leur mère.

ATTENTION FIN SPOILERS

 

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Ils ont beau ne pas partager le même sang, Dexter et Debra Morgan ont aussi leurs petits problèmes, outre le fait que Monsieur est un serial killer ! En fin de saison 6, les scénaristes amènent lourdement sur le tapis les sentiments ambivalents de la jeune femme pour son frère. Si la chose est une révélation pour Debra, le fait qu’elle soit « amoureuse » de Dexter est assez logique quand on connaît la série et le personnage : à fleur de peau, auto-destructrice, en quête de reconnaissance paternelle, incapable de se fixer sentimentalement. Et pour cause, sa référence a toujours été Dexter, son frère, son meilleur ami, celui qui la protège même quand elle l’ignore.

Mais la prise de conscience de la jeune femme est parasitée par la découverte de la vraie nature de son frère. Dans une très belle scène de la saison 7, Debra, bouleversée à bien des égards, avoue tout à Dexter, parlant désormais de ses sentiments au passé car non seulement, elle ne peut pas aimer son frère mais elle peut encore moins aimer un tueur en série. En bon sociopathe rationnel qu’il est, ces révélations ne vont pas faire ciller le héros qui explique d’ailleurs à la jeune femme que ce qu’elle ressent est « normal » dans le sens où il a toujours été une constante dans sa vie. Entre Dexter et Debra, c’est une autre sorte de partage malsain qui va opérer au fil de la saison. Une fois le choc passé, la flic va commencer à trouver plus ou moins séduisante la compulsion de son frère et réclamer du sang… jusqu’au final de la saison qui lui fait dépasser toutes les bornes.

 

Bates

 

Plus original et encore plus dérangeant et fascinant à la fois, le tabou de l’inceste est au cœur de Bates Motel. Quand on a vu Psychose et que l’on sait la passion que le personnage voue à sa mère au point de se transformer en elle, il apparaît terriblement intéressant de savoir ce qui a bien pu se passer avant, durant cette période charnière qu’est l’adolescence, époque où un individu se forme et un tueur en série nait.

Bates Motel joue pour l’instant la carte de l’ambigüité, d’une relation mère-fils fusionnelle et conditionnante. En choisissant de ne pas faire de Norma Bates la harpie que l’on pouvait s’imaginer, Carlton Cuse et son équipe préparent joliment le terrain de la frustration sexuelle de Norman. Norma est belle, désirable, sensuelle, c’est une battante qui fait passer son fils avant tout, une solitaire qui n’a que lui dans sa vie. Comme en témoigne le choix de son prénom, Norman est sa chose depuis sa naissance, une extension d’elle-même qui finit d’ailleurs par aller dans les deux sens. Ce n’est pas un hasard si l’un des posters officiels de la saison montre une partie du visage de l’une accolée au visage de l’autre. De l’aveu même du premier fils très mal aimé de Norma, les Bates forment un étrange couple, complètement dépendant l’un de l’autre qui n’accepte pas que l’on tente de le séparer. Même s’il souhaite s’émanciper de la tutelle de sa mère, Norman n’arrive jamais à la quitter. Norma, de son côté, adopte une technique très féminine en tachant de culpabiliser son fils quand ils sont en désaccord. Et comme dans un couple lambda, la jalousie qui entoure les incartades sexuelles de l’un et de l’autre est intolérable. Pour l’instant, Bates Motel avance avec parcimonie sur le terrain des sentiments incestueux, la seule scène réellement malsaine à ce jour étant une sorte de « rêverie » de Norma qui imagine son fils et sa petite-amie en plein ébat.

Sans doute n’atteindrons-nous jamais avec Bates Motel comme avec les autres séries qui parlent d’inceste, l’horreur et le dégoût de cet inoubliable épisode de The X Files, Home (La Meute) dans lequel Mulder et Scully enquêtent dans une maison délabrée qui abrite une famille de dégénérés qui se reproduisent entre eux.

Bien loin de ce cauchemar à l’état pur, les séries TV actuelles parviennent dans leur grande majorité à traiter ce sujet délicat avec intelligence, grandeur et parfois une décadence qui satisfait notre inhérente perversité.

De tabous, au final, il n’en reste plus beaucoup !

Crédits photos : Showtime, A&E, HBO, FOX/NetFlix