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Invitation au voyage…dans le générique de Twin Peaks

Marine Di Meglio

Si l’on se réfère à la définition communément admise, le générique d’une série télé est tout simplement la partie où l’on indique le titre, les noms des acteurs et des divers collaborateurs. Bref, un simple objet technique destiné à aligner une série de noms et pourtant… Pourtant ils sont bien plus que ça, particulièrement dans les séries télés dont ils font sans aucun doute partie intégrante. Ils sont la “page de présentation de la série”, une sorte de concentré de celle-ci et de son ambiance. Mais ils sont aussi bien souvent des objets d’art et parfois même des objets cultes pour les fans.
Mon but sera donc de parler de ces génériques, de voir à quel point ils sont représentatifs de “l’esprit” de la série et également de discuter de la manière dont ils servent la narration de la série.

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Bienvenue dans le monde mystérieux de Twin Peaks, petite ville imaginaire de l’état du Washington aux Etats-Unis. Co-créée par le maître David Lynch et Mark Frost, Twin Peaks a très vite été élevée au rang de série culte grâce à son mélange des genres, son univers musical envoûtant, ses personnages délicieusement troubles et son univers typiquement lynchien.
Et son générique lui-même est considéré comme un petit chef d’œuvre du genre.

Mais tout d’abord, posons les fondamentaux pour ceux qui ne connaitraient pas la série. Elle pourrait très simplement être résumée par la célèbre phrase: Mais qui a tué Laura Palmer ? En effet, la série commence lorsque le corps sans vie de Laura Palmer, une jeune et jolie lycéenne, est retrouvé près d’une rivière et que l’agent du FBI Dale Cooper est envoyé mener l’enquête. Au fur et à mesure de la série, il découvre peu à peu que Laura Palmer avait beaucoup de choses à cacher, tout comme de nombreux habitants de la ville.

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Le générique de Twin Peaks est en fait constitué des deux premières minutes et demie du pilote qui seront ensuite utilisées comme générique introduisant tous les épisodes. Il se compose de six éléments qui se succèdent l’un après l’autre sur le thème musical obsédant d’Angelo Badalamenti.
Tout d’abord un oiseau perché sur sa branche en gros plan, puis une usine crachant sa fumée, des machines aiguisant des crans de disque, un panneau (Welcome to Twin Peaks, Population : 51,201) sur le bord d’une route surplombée par de brumeuses montagnes, un panoramique dévoilant une cascade et finalement un travelling suivant une rivière.
Ce générique a toujours eu la particularité de susciter chez moi à la fois une sensation d’apaisement mais aussi paradoxalement une sensation de malaise. Sensations qui sont la marque de fabrique de Twin Peaks, petite ville en apparence tranquille qui dissimule des dessous bien plus glauques qu’il n’y parait. En somme, ce générique est un bon indice de l’ambiance de la série, je dirais même plus il fait partie intégrante de cette ambiance particulière. Contrairement à bien d’autres génériques, ici point de présentation de personnages en image, seuls les noms apparaissent. Nul conflit, nulle action, simplement le déroulement de la vie en l’absence de toute humanité. Pourtant, comme dans la série elle-même, le cadavre de Laura Palmer est ici présent, bien que laissé hors champ. La musique lancinante et le cours de la rivière nous ramènent encore et toujours au point de départ de la série : la découverte du corps de Laura.

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La musique de ce générique ne peut que nous marquer dès la première écoute. Il s’agit de la version instrumentale de la chanson “Falling” composée par Angelo Badalamenti, écrite par David Lynch et interprétée par Julee Cruise (d’ailleurs on peut la voir la chanter lors d’une scène de l’épisode ouvrant la série). Seule la musique résonne durant ce générique, l’oiseau ne chante pas, les machines ne font pas de bruit, la cascade ne gronde pas… tous les plans sont muets.
A la place de tous ces bruits s’égrène donc la mélodie de Badalamenti et l’association entre musique et images augmente ce tableau bucolique présenté par le générique. Tout commence par un ensemble de notes basses et presque pesantes qui accompagne les images de machines, puis le thème se transforme peu à peu au fil du générique y ajoutant une mélodie lyrique et mélancolique lorsque le panneau Welcome to Twin Peaks apparait. Une mélodie qui s’élève de plus en plus vers l’aigu alors que la cascade plonge. Et finalement aigus et graves se mêlent tandis que la rivière suit paisiblement son cours. Images et musique se répondent de manière harmonieuse pour finalement former ce tableau mélancoliquement trouble, à l’image de la série elle-même. La musique est donc ici éminemment importante comme elle l’est d’ailleurs dans la série et dans toute l’œuvre de David Lynch. Le compositeur du thème du générique Angelo Badalamenti est d’ailleurs le compositeur de toute la musique de la série mais aussi le compositeur attitré de Lynch.

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Les images du générique sont, de manière générale, construites sur une idée de dualisme. Opposition entre les éléments naturels (l’oiseau, les montagnes, l’eau) et ceux créés par l’homme (l’usine, les machines). Voir cette usine crachant sa fumée nocive dans ce paysage à priori parfait introduit le malaise qui imprègne ce générique. Contraste que l’on retrouve également entre la fumée qui s’élève et la chute de l’eau. Le générique s’achève sur ce travelling suivant un cours d’eau que les courants agitent tel un miroir déformé. Une prédiction annonçant qu’à Twin Peaks si tout semble paisible, la réalité des choses est souvent bien plus glauque et compliquée qu’elle semble l’être au premier abord.

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Ainsi ce générique, construit sur une série d’oppositions entre nature et culture sur une musique à la fois mélancolique et quelque peu pesante, s’intègre parfaitement à l’ambiance de la série. Il y participe même en posant le cadre idyllique et subtilement discordant de cette petite ville mystérieuse.

MARINE DI MEGLIO

Source: ABC