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Retour à Southcliffe avec Tony Grisoni

Retour à Southcliffe avec Tony Grisoni
Alexandre LETREN

Canal+ Séries a diffusé hier soir les deux premiers épisodes de la mini série Southcliffe (suite et fin lundi prochain), bouleversant drame qui frappe une petite ville britannique et qui interroge chacun sur la question du deuil, la perte d’un être cher, le manque lié à l’absence. A la tête de cette série, on retrouve Tony Grisoni, scénariste britannique qui a souvent collaboré avec Terry Gilliam. Lors du dernier Festival Séries Mania, nous avons pu le rencontrer et revenir en détail avec lui sur cette mini série.

La petite ville anglaise de Southcliffe voit s’abattre sur elle une vague de fusillades le même jour, causant la mort de nombreuses personnes. Un journaliste revient dans cet endroit qui l’a vu grandir. Il est témoin des différentes émotions ressenties par les proches des victimes à la suite de ces événements : la peine, l’effroi, le deuil, la culpabilité et la rédemption.

Retrouvez notre émission sur Southcliffe ici

Season One: Pourquoi avez-vous choisi un tel sujet pour cette série? C’est assez inhabituel

Tony Grisoni: Je crois que, comme chacun d’entre nous, je m’intéresse à la mort, à la façon dont nous réagissons face à la mort, et ce que nous faisons en conséquence. C’était le point de départ. Je m’intéresse aussi aux fantômes, et le producteur Peter Carlton aussi, et c’est ainsi que nous avons commencé à parler ensemble. Je suis aussi amoureux de ce paysage, avec la mer qui vient frapper les côtes salées, là où vous n’êtes plus certains d’être sur la terre ou la mer. C’est excitant et étrange. J’étais également intéressé par une méthode de travail dans laquelle j’interviewerai des gens, et ils nous raconteraient leur expérience de la perte d’un être cher. Cette expérience pourrait guider notre histoire, plutôt que je l’invente complètement. Ce n’est pas un secret, l’expérience vécue racontée par quelqu’un est souvent plus extraordinaire que ce que l’on peut imaginer.

Season One: Il est impossible, en voyant Southcliffe, de ne pas penser à d’autres œuvres comme “Bowling for Colombine”, ou encore aux événements de Toulouse. Quelle a été votre inspiration ?

TG : Je pense qu’au départ l’idée d’un homme prit d’une folie meurtrière était une mécanique : Il tue de nombreuses personnes, dans un espace restreint et une courte période de temps. C’est le début, la mécanique. Si vous faites une série sur ce sujet, et que vous traitez ce tueur comme une personne, ce que vous devez faire, les choses deviennent plus compliquées. C’est très difficile dans une collectivité quand une personne de cette collectivité fait une telle chose. Il pourrait être notre ami ou voisin. « Que pensez-vous de lui ? » entend-on souvent aux informations. « C’était un homme discret. C’était un homme gentil. Il ne s’attirait jamais d’ennuis ». Combien de fois avons-nous entendu cette histoire ? Et alors vous vous demandez : pourquoi ? Pourquoi a-t-il fait ca ? Peut-être devait-il beaucoup d’argent ? Je dois beaucoup d’argent et je ne vais pas tuer des gens pour autant ! Il était brutalisé à l’école ? J’étais brutalisé à l’école, je ne vais pas tuer des gens pour autant. Vous vous demandez pourquoi, pourquoi, pourquoi. Et vous ne pouvez pas savoir pourquoi. Il y a certainement des choses que vous pouvez faire pour améliorer la vie des gens, qui rendent la vie moins absurde et meilleure, mais une histoire pareille n’arrive pas tous les jours. Cela vous donne une énigme, cela nous donne à nous, scénaristes, producteurs, un problème, parce que nous ne voulons pas donner une réponse facile et au rabais, une réponse réduite : “Il a tué ces gens à cause de ça”. Nous ne voulons pas faire cela, parce que si nous le faisons, ce n’est pas la vérité. La vérité est bien plus complexe, et au final vous ne connaissez pas la réponse, mais vous avez besoin de poser les questions.

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Season One : Quand j’ai vu Southcliffe, j’ai eu l’impression de presque voir un documentaire. Grâce au travail de votre réalisateur. 

T.G : Oh ! Sean Durkin. Il a fait un travail fantastique. Les prises de Sean sur la série ont été incroyables. Cela a constitué une réelle influence. Nous n’avons pas cessé d’écrire pendant tout le tournage, j’écrivais tout le temps. En partie parce que je m’adaptais à son style, et son intérêt pour ce qui se passe hors cadre. Ce que vous ne pouvez pas entendre. L’absence. Et il était si fasciné par ça que cela a commencé à m’intéresser aussi. J’ai alors commencé à réécrire des scènes pour permettre cela.

Season One : Nous ressentons la peur des personnages avant la fusillade, c’est très dérangeant.

TG : C’est dérangeant pour moi aussi, et je crois que c’est justement à cause de l’absence. Il est toujours question de faire disparaître et pas d’ajouter des choses en plus.

Season One : Aujourd’hui dans de nombreuses séries les personnages sont très bavards. Dans Southcliffe il y a beaucoup de silence. Pourquoi ce choix ?

T.G : Le développement de la série a été en quelque sorte un acte social, une combinaison de chacun d’entre nous participant à la fabrication de cet objet. Je savais donc que de nombreux personnages ne sont pas des personnes naturellement articulées. L’ensemble devait être naturaliste. Dès lors, vous ne pouvez pas avoir un de ces personnages soudainement en train de philosopher. A l’opposé de quelque chose comme True Detective par exemple, dans lequel il y en a beaucoup. Mais c’est un différent style de show, et Nic Pizzolato fait fonctionner cela d’une manière fantastique. Pour Southcliffe ce n’était pas la direction à prendre, les personnages devaient parler de la manière dont je sentais que c’était naturel dans de telles circonstances. Du coup, les personnages en disent moins que plus. Cela devient intéressant quand quelque chose d’énorme arrive à un personnage et il en parle peu. Cela a un effet dramatique puissant. Et puis, quand Sean (Durkin) a commencé à réaliser, il a montré un intérêt naturel pour l’absence et le silence, en faisant par exemple des choix comme de ne pas avoir de musique, ce qui ajoute à la sensation générale. Tous ces éléments se sont ajoutés, ont confirmé que nous participions tous à la même choses et se sont avérés plus efficaces que si chacun faisait sont boulot de son côté.

Season One : Et pourquoi avez vous choisi de ne jamais vraiment révéler la raison pour laquelle il a tué ?

T.G : Je ne pense pas que l’on puisse savoir pourquoi. On a besoin de se poser la question du pourquoi mais l’on ne peut avoir de réponse. Et d’un point de vue dramatique, cela aurait été tellement réducteur et malhonnête de dire : “un plus un égal deux”. La vie n’est pas si simple.

Season One : Vous avez fait un choix brillant pour le personnage principal, le tueur. Pourquoi avoir choisi cet acteur ?

T.G : Sean Harris a été casté par Sean Durkin, le réalisateur, et la directrice de casting. Ils l’ont pris parce que Sean est un acteur qui a un talent incroyable, et il a eu une réelle compréhension de ce personnage. Ce qui est intéressant c’est que Sean a déjà été dans des choses que j’ai écrites. Il était dans Brothers of the head, dans The Red Riding, et maintenant Southcliffe. C’est un des acteurs les plus talentueux du milieu.

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Season One : Pourquoi avoir choisi la télévision pour raconter cette histoire et pas le cinéma?

T.G : Parce que cela me donne plus de liberté…

Season One : …Plus de liberté à la télévision qu’au cinéma aujourd’hui pour vous ?

T.G : Oui, beaucoup plus, parce qu’ils ont confiance dans ma capacité à tenir l’histoire, parce qu’ils me donnent plus d’espace et la liberté de m’en servir. Parce qu’en ce moment la télévision a une réelle volonté de prendre des risques, plus de risques que le cinéma. Parce que la télévision est fondée sur une solide base financière, vous n’avez pas le risque d’un château de cartes qui peut s’écrouler à n’importe quel moment. Je crois que tout cela sont autant de très bonnes raisons de travailler à la télévision en ce moment.

Season One : Pour terminer, il y a eu beaucoup de réaction à la violence que l’on voit dans la série. Pensez-vous que ce soit un bon choix ?

T.G : Si vous regardez Southcliffe, la violence est essentiellement psychologique, et surtout elle est enterrée, elle se passe hors cadre, encore et encore. Du coup le sentiment de menace et de violence est plus grand, parce que c’est vous qui le fabriquez.

Vous pouvez aussi écouter Tony Grisoni parler de la série à notre micro

Traduction par Christophe Brico
Enregistrée au Festival Séries Mania en avril 2014
Crédits: Channel 4