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Un Commentaire

Scandal dans l’ombre de House of Cards

Scandal dans l’ombre de House of Cards
Laura Maz
  • Le 23 avril 2014
  • http://lauramaz.com/

La saison deux de House of Cards vient de s’achever sur Canal+ et c’est la saison trois de Scandal qui prend la suite. Difficile dans ces conditions de résister à la tentation d’une petite comparaison de ces deux séries qui de façons trèèèèèèèès différentes nous font visiter les arcanes du pouvoir américain. La première est classe, cinématographesque, son casting parle pour elle et son mode de diffusion est une révolution planétaire. La seconde est un soap, diffusée sur un network et avec des gens qu’on reconnaît en se disant, mais si tu te souviens, c’est le mec qui joue dans la série, là, mais si, tu sais, celle avec les docteurs et le type de la pub l’Oréal. Bref, c’est un match un peu inégal au premier abord, même si en y regardant de plus près la plus audacieuse n’est pas forcément celle que l’on croit.

Lancée en 2013 par le provider de VOD, Netflix, House of Cards est une pionnière en matière de production et de distribution. Elle préfigure une nouvelle façon de consommer la télé et permet à la presse française d’apprendre de nouveaux mots comme Binge Watching. Plus sérieusement, en produisant et en mettant à disposition de ses abonnés l’intégralité d’une série, Netflix a de quoi faire peur aux diffuseurs. Parce que les Américains, ont beau être les plus forts du Monde, ils commencent un peu à en avoir marre de subir une coupure pub toutes les 8 à 10 minutes et une diffusion entrecoupée de breaks toutes les trois semaines (ou presque). A ce titre, House of Cards est exceptionnelle, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est parfaite.

Esthétiquement les deux séries ne jouent pas vraiment dans la même cour. Et si David Fincher n’a réalisé que les deux premiers épisodes, sa touch est là. On est plus proche du cinéma que de la série télé et c’est aussi sans doute pour ça que House of Cards fait quasi unanimité chez les gens qui aiment les séries quand elles ne ressemblent pas à des séries… Va comprendre !

Une série est avant tout une histoire de gens. Des gens que l’on aime, que l’on déteste, que l’on aime détester, bref, des gens auxquels on s’attache, dont on attend qu’ils nous surprennent quand on croit les connaître et que l’on n’a jamais rencontré avant. Si les comédiens de House of Cards sont brillants et que personne ne contestera leur talent (j’aime Robin Wright depuis Santa Barbara, c’est pour vous dire), leurs personnages sont finalement moins forts que l’on pourrait s’y attendre. On s’attendait à un héros fort et inédit et finalement on se retrouve avec un anti-héros « de base ». Frank Underwood (Kevin Spacey) est certes sans scrupule et assoiffé de pouvoir mais il est sans surprise. JR (Dallas), Benjamin Horne (Twin Peaks), Jim Profit (Profit) étaient tout aussi mauvais, corrompus et cyniques. Rien de très nouveau, donc. Zoé Barnes (Kate Mara) la jeune journaliste qui travaille à la rubrique des chiens écrasés mais qui a du talent, bla bla bla est un personnage que nous avons croisé mille et une fois dans nos errances cathodiques. Qu’ils soient méchants ou gentils, les personnages de House of Cards sont très classiques, restent dans leur registre et l’on aurait pu les croiser dans n’importe quelle autre série. Seule exception, Claire Underwood (Robin Wright) qui est sans doute l’un des plus grands rôles féminins de ces dernières années à la télé. La beauté et la froideur hitchcockienne de la comédienne associées à son imperméabilité à toute forme de compassion font d’elle une anti-héroïne parfaite Au-delà de son personnage, c’est le couple Underwood, lié par la soif de pouvoir et l’absence de scrupule, qui est aussi fascinant qu’effrayant. Mais le manichéisme des personnages est un peu gênant pour une série de cette qualité quand Scandal, supposée plaire au plus grand nombre nous offre une palette de personnage profonds, qui évoluent en permanence dont on ne sait pas s’ils sont bons mais corrompus par leur soif de pouvoir ou mauvais ce qui les a mené là où ils sont. Cyrus Beene, secrétaire d’Etat du Président, magistralement incarné par Jeff Perry, est sans doute le plus complexe de tous. Sans cesse tiraillé entre le bien et le mal, on souffre avec lui quand il bascule du côté obscur et l’on ne sait pas s’il reviendra dans la lumière. Quinn Perkins (Katie Lowes), avocate débutante timide devenue une tueuse impitoyable en révélant son côté sombre ou encore David Rosen (Joshua Malina), l’assistant du procureur, dont le white hat n’est pas immaculé, sont autant de gens tout en nuances dont on ne sait pas si on doit les plaindre ou les craindre mais qui jamais ne nous lassent.

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C’est qui le patron ? Que ce soit l’une ou l’autre, les deux séries nous offrent un portrait peu réjouissant du leader du Monde Libre. Elles se rejoignent sur le cynisme et sur le fait que le locataire de la Maison-Blanche, n’est qu’un pion pour ceux qui l’entourent et l’ont mené dans le bureau ovale. Que ce soit Garrett, le démocrate de HOC ou Grant, le républicain de Scandal, ils semblent incapables de prendre une décision, sont aussi manipulables l’un que l’autre et se sont finalement les first ladies qui portent la culotte dans le Bureau Ovale.

Chez Shonda Rhimes, on parle vite, très vite et on n’a pas temps de tergiverser, ben oui, c’est bientôt la pub ! Car contrairement à sa riche rivale, Scandal ne peut pas s’offrir le luxe d’un temps mort ou d’une fin d’épisode sans cliffhanger. Mais ce qui pourrait sembler être un handicap, est en fait ce qui fait la force de la série. Contrainte de jongler avec les impératifs publicitaires et la censure inhérente aux networks, la série d’ABC se doit d’être plus créative. Contrainte de suggérer la violence et le sexe, elle est en fait plus intense et plus fine qu’House of Cards sur ces points.
Parce qu’elle était d’office promise à un grand avenir, House of Cards n’a finalement innové que dans son mode de production et de diffusion. C’est une bonne série qui aurait largement sa place sur le premium câble mais qui sans doute ne restera dans l’histoire que pour ces raisons là. Parce qu’elle n’avait rien à prouver contrairement à Scandal, sans cesse menacée d’annulation, les auteurs n’ont pas pris de risque et ne sont pas sortis d’une écriture classique pour une série politique. Pour son premier soap « politique », (bon on ne va pas s’emballer, ce n’est pas The West Wing, non plus !), Shonda Rhimes s’aventure en terre inconnue pour le genre avec brio.

Pas question de choisir, le mieux c’est de faire comme chez les Obama, décidément ils passent leur vie devant la télé ces gens-là, et de regarder les deux. Parce que sérieusement, passer à côté de House of Cards, ce serait vraiment un scandale.

Crédits: ABC/ Netflix