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The Enfield Haunting : SOS Fantôme

The Enfield Haunting : SOS Fantôme
Fanny Lombard Allegra

Récemment diffusée en Grande-Bretagne par Sky Living et présentée dans le cadre du festival Série Séries, The Enfield Haunting renoue avec un grand classique de la fiction d’épouvante : le poltergeist. Un thème évoqué dans la littérature depuis l’Antiquité, maintes fois exploité au cinéma mais peu à peu tombé en désuétude, avant de resurgir sur les écrans au cours des dernières décennies avec des films comme The Conjuring (de James Wan, sorti en 2013). C’est au tour de la télévision de s’emparer du sujet, pour une mini-série en trois épisodes convenus, mais extrêmement réussis.

Nous sommes en 1977 à Enfield, dans la banlieue londonienne. Peggy Hodgson (Rosie Cavaliero) élève seule ses trois enfants – Janet (Eleanor Worthington Cox ) âgée de 11 ans, sa grande sœur Margaret et le petit Billy – depuis qu’elle s’est séparée de son mari. Bientôt, les enfants sont témoins d’évènements surnaturels : des traces mystérieuses et des coups frappés aux murs, des meubles qui semblent se déplacer tout seuls… La Society of Psychical Research, spécialisée dans le paranormal, envoie sur place un de ses membres, le quinquagénaire Maurice Grosse (Timothy Spall), pour juger de la véracité des allégations. Celui-ci s’attache immédiatement à Janet, qui porte le même prénom que sa fille récemment décédée et qui semble être la cible privilégiée du fantôme. Au cours d’une nuit passée dans la maison, Grosse assiste aux mêmes phénomènes inquiétants. Il est alors rejoint par Guy Lyon Playfair (Matthew MacFadyen), enquêteur chevronné avide de célébrité mais beaucoup plus sceptique, qui soupçonne un canular. Jusqu’à ce qu’une force invisible ne tente d’étrangler Janet sous ses yeux, avant de le projeter violemment au plafond. Dès lors, les deux enquêteurs vont essayer de protéger la jeune fille et de chasser l’esprit malfaisant qui hante la petite maison d’Enfield.

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De façon classique, The Enfield Haunting reprend tous les codes inhérents au film de hantise et sacrifie à tous les passages obligés, en particulier dans un premier épisode conçu comme un modèle du genre. Les personnages, la situation sont rapidement posés et on entre immédiatement dans le vif du sujet : les manifestations paranormales se succèdent, les objets sont précipités contre les murs et les meublent jetés à travers les pièces. De nombreux clichés et situations répétitives n’épargnent pas quelques belles frayeurs au téléspectateur. Vous connaissez tous le truc : vous savez pertinemment que quelque chose de terrifiant va se produire, mais vous sursautez malgré tout ! C’est précisément dans ce registre que s’inscrit la série, qui n’est pas effrayante à proprement parler mais sait parfaitement doser ses effets pour jouer avec nos nerfs. En dehors des séquences-choc, l’action progresse avec une lenteur contribuant à faire monter le suspense et l’ensemble est redoutablement efficace.

En cela, la recette est éprouvée et place la série dans la lignée d’un Poltergeist (réalisé par Tobe Hopper – 1982) ou du récent The Conjuring : les dossiers Warren, déjà cité en introduction – et dont le second volet à venir traitera d’ailleurs de cette même affaire Enfield. La comparaison avec le premier opus est évidente : outre le thème de la hantise, la cellule familiale est au centre de l’intrigue, on assiste à l’intervention de spécialistes et de médiums et l’action se déroule dans les années 1970. Mais surtout, les deux fictions se basent sur le récit d’un des héros qu’elles mettent en scène. En l’occurrence, The Enfield Haunting se réclame du livre de Guy Lyon Playfair, « This house is haunted« , et se veut une libre adaptation de cette histoire « vraie »… En réalité, celle-ci devient prétexte à une réflexion plus profonde en servant de support à une tragédie banalement humaine.

En se revendiquant issue d’un témoignage et en prenant pour pivot central une cellule familiale installée dans une banale maison de la banlieue londonienne, la série choisit d’implanter un thème fantastique dans un cadre réaliste, encore accentué par la reconstitution d’époque. Celle-ci passe par le décor général et par des détails aussi anodins que le mobilier, le papier peint, les posters de la chambre de Janet, les vêtements, les coupes de cheveux, l’environnement suburbain, etc. Mais l’ancrage dans les années 1970 s’exprime aussi par le recours à une photographie volontairement datée, les tonalités brun orangé instillant une odeur de naphtaline et recréant cette atmosphère si particulière. Une palette de couleurs et une réalisation classique mais soignée qui conviennent parfaitement à un Kristoffer Nyholm (créateur de The Killing), toujours aussi attentif au développement d’une dramaturgie s’inscrivant dans un univers extrêmement crédible et proche du quotidien.

Macfadyen and Spall in The Enfield Haunting

Le cadre familier et rassurant ne rend que plus dérangeantes les manifestations surnaturelles et la possible présence d’un esprit maléfique, prenant pour cible une petite fille, entre les murs d’un foyer que l’on supposerait si paisible. Le procédé, associé à la caractérisation de personnages sympathiques et accessibles, favorise l’empathie voire l’identification, et ajoute un enjeu émotionnel supplémentaire en impliquant davantage le téléspectateur.

Si The Enfield Haunting débute indéniablement comme une série fantastique, elle s’en dégage graduellement pour se porter au niveau du drame psychologique. Dès le premier épisode, il parait évident que les évènements relatés sont bel et bien réels : ces manifestations nous sont montrées comme avérées, sans le moindre doute quant à leur origine paranormale. La transmission, par le biais du regard de personnages enclins à adhérer à ce postulat de départ, transforme le spectateur lui-même en témoin. Cependant, les dysfonctionnements et failles psychologiques – aussi bien du côté de la famille Hodgson que de Maurice Grosse – sont déjà présents de façon sous-jacente mais néanmoins évidente. Au cours des épisodes, cette dynamique s’inverse progressivement, et les éléments surnaturels tendent à s’étioler, se diluant dans la mise en évidence du mal-être des protagonistes. Après un premier épisode riche en scènes de hantise et culminant avec l’agression de Janet, le deuxième s’ouvre sur une scène de spiritisme dont la véracité est plus facile à mettre en question et qui constitue l’essentiel de la trame fantastique, tandis que le paranormal est quasiment absent du dernier épisode.

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Même si la série ne renie pas forcément l’explication purement surnaturelle qu’elle a elle-même avancée, on bascule alors dans un autre registre, et derrière l’histoire de fantôme se découpe en arrière-plan une autre sorte de hantise : celle de l’absence. L’absence d’un père pour Janet, qui souffre de la séparation parentale ; l’absence de sa fille pour Grosse, incapable de faire son deuil et d’accepter la mort de son unique enfant. La correspondance de leurs situations personnelles et la coïncidence de l’homonymie entre les deux jeunes filles renforce le lien intime, la connexion qui s’est instantanément instaurée entre eux, chacun projetant sur l’autre son manque et ses névroses.

De parapsychologique, le contexte devient alors purement psychologique. Ce basculement s’opère sans qu’on y prenne garde, avec une fluidité remarquable qui doit autant à la mise en scène subtilement subjective qu’au recours au personnage de Guy Playfair – prétendument sceptique alors qu’on oublie un peu vite son implication dans une récente affaire d’exorcisme… – et au decrescendo des scènes d’horreur. Aux meubles balancés à travers la pièce et aux séquences de possession a succédé l’hystérie collective. Une névrose initiée par Janet, adolescente en mal de père, et qui s’est propagée au reste d’une famille en souffrance avant de rencontrer un écho inattendu dans la douleur de Grosse, père inconsolable qui ne peut surmonter la mort de sa fille.

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Cette relation centrale repose avant tout sur l’interprétation des deux comédiens : Timothy Spall est parfait dans le rôle de Maurice Grosse, touchant et presque pathétique mais sans jamais franchir la ligne ni surjouer l’émotion ; Eleanor Worthington Cox étonne par la maturité et la finesse de son jeu, traduisant toutes les nuances d’un personnage complexe et ambigu. Le reste du casting ne dépare pas – à l’exemple de Juliet Stevenson dans la peau de l’épouse brisée de Grosse. Matthew MacFayden (notamment vu dans MI-5 et Ripper Street) est comme toujours excellent et si sa prestation est quelque peu éclipsée par celle de Spall, il montre ainsi qu’il est capable de se mettre en retrait lorsque le scénario l’exige.

Portée par d’excellents acteurs, The Enfield Haunting offre donc davantage qu’une simple histoire de fantômes. En développant une réflexion psychologique sur une trame fantastique crédibilisée par un témoignage réel, la série associe la forme et le fond pour étendre son propos et elle se prête finalement à toutes les explications, de la plus rationnelle à la plus paranormale. Voire aux deux en même temps… Si vous croyez aux fantômes, vous aimerez le classicisme de The Enfield Haunting, qui s’inscrit dans la plus pure tradition des films du genre ; dans le cas contraire, sans doute l’apprécierez-vous encore plus en y voyant l’illustration d’une psychose collective, engendrée par la déstructuration du noyau familial. Ce vaste éventail d’interprétations fait de The Enfield Haunting une œuvre profonde et riche de plusieurs niveaux de lecture, où chacun est libre d’y trouver ce qu’il veut bien y chercher… Un bijou, remarquable d’intelligence et de finesse.

The Enfield Haunting série diffusée sur Sky Living – inédite en France.

3 épisodes de 45 minutes environ.

Crédit photos : Sky / Elevenfilm.

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