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Un (nouveau) méchant de séries, comment ça marche ?

Cécile Pinaud

Alors que la série TV n’a de cesse de muter et de repousser un peu plus les limites de ce qui est faisable et montrable, quelle est désormais la place du méchant ? Qu’est-ce qui le caractérise et quelle figure prend-t-il selon le genre de show dans lequel il évolue ? Ses actions sont-elles plus excusables qu’autrefois simplement parce qu’elles sont expliquées ? Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre.

La semaine dernière, le monde des séries TV était en deuil. Il perdait la quintessence même de ce que fut un grand méchant avec la mort de JR Ewing dans Dallas. Une mort célébrée dans tous les sens du terme par sa famille comme par les nombreux ennemis du salaud au stetson, certains regrettant d’ailleurs de ne pas être les auteurs du meurtre. A côté du cercueil de son frère, Bobby (parfait Patrick Duffy) faisait très justement remarquer combien il fut facile pour lui d’être le gentil de l’histoire au fil de années quand on a eut un frère comme John Ross Ewing, 1er du nom. Il était amusant de voir que dans cet épisode et de manière générale dans ce reboot, la méchanceté de JR est devenue pratiquement une qualité. Il était méchant, c’était sa personnalité et sa façon toute personnelle de se démarquer du « commun des mortels ».

A l’heure où les séries TV outrepassent les barrières de la moralité, l’interroge et la remette en question, le méchant n’est plus une figure péremptoire. Il est désormais plein de nuances de gris. Au final, il ne reste plus grand-chose de l’héritage de JR. Dans les séries actuelles, le personnage qui s’en rapproche le plus à cause de l’élément soap est Charles Frémont dans Plus Belle la vie. D’ailleurs les scénaristes se sont clairement inspirés du héros de Dallas pour construire le bonhomme. En dehors des origines modestes que JR ne partagent pas, Frémont est aussi un homme d’affaire sans scrupule, un séducteur patenté qui a souvent trompé son épouse et un père retord qui se met à dos ses enfants et en particulier sa fille Céline. La production va également jusqu’à jouer sur une certaine ressemblance entre les deux hommes sur les photos promotionnelles.
Pourtant, aussi impitoyable soit-il, Frémont est « victime » du nouveau syndrome qui atteint les méchants de séries TV : la recherche de l’origine du « Mal » et de possibles circonstances atténuantes. Il y a quelques années, le créateur de séries (et le téléspectateur) se fichait un peu de savoir pourquoi Alexis Carrington de Dynastie ou Nellie Olsen de La Petite Maison dans la prairie étaient de telles garces. Le méchant était juste un personnage en or qui fascinait (et continue de fasciner) le public parce qu’il s’autorisait toutes les dérives, toutes les bassesses sans jamais avoir de retour de bâton ou presque.

JR EWING (Dallas) CHARLES FREMONT (Plus belle la vie)

Aujourd’hui, la donne a changé. Il ne s’agit pas tant d’excuser le parfait salaud que de comprendre le cheminement intérieur qui a mené à la transformation de sa personnalité. Pour reprendre et détourner une célèbre phrase de Simone de Beauvoir, on ne nait pas méchant, on le devient ! Quelque part, le scénariste de séries TV est devenu un être très optimiste qui semble croire que le mal ne s’installe pas de lui-même dès le départ. Il a surtout compris que se pencher sur le passé d’un personnage est autrement plus passionnant et révélateur que de le garder en deux dimensions.

Une série comme Bates Motel qui vient d’être lancée sur A&E est tout à fait symptomatique de cette nouvelle façon de considérer le « méchant ». Il s’agit là de l’étude des mécanismes et de l’installation de la « méchanceté », pour ne pas dire psychopathie chez le personnage culte de Norman Bates, ici adolescent. Comment sa relation étrange avec sa mère et d’autres éléments extérieurs vont façonner sa personnalité jusqu’à en faire le tueur que l’on connaît dans PsychoseBates Motel est un exemple très intéressant pour deux raisons : elle est l’une des rares à se concentrer exclusivement sur les origines là où la plupart des autres shows consacrent au mieux des flashbacks et des arcs narratifs, au pire un ou deux épisodes à l’affaire et elle est surtout symptomatique de la diversité offerte au personnage du méchant (ici en devenir) sur le petit écran.
Car non seulement celui-ci a de très nombreuses nuances de gris mais il prend un peu tous les visages : la cruauté, l’arrivisme, la sociopathie, la psychopathie, l’ambition, la bêtise…

bates motel

Malgré son indéniable génie, Gregory House (Dr House) était un odieux connard, Patty Hewes (Damages) était une obsédée du contrôle assoiffée de pouvoir, Glory (Buffy) était folle en plus d’être une déesse/démone, Monsieur Burns (Les Simpsons) est un frustré qui se venge de la nullité de sa vie sur ses employés, Sylar (Heroes) et Le Gouverneur (The Walking Dead) rentrent dans la catégorie des sociopathes, Michael Laugesen (Borgen) est un horrible macho sans scrupule, Joe Carroll (The Following) et Klaus (The Vampire Diaries) sont des serial killer psychopathes, Thomas (Downton Abbey) vit mal sa condition de domestique et son homosexualité, les Lannister (Game of Thrones) sont des égoïstes qui ne roulent que pour leur pomme… On le voit, la liste est fort longue et trouve des échos et des degrés divers et variés quelle que soit la nationalité de la série.

Borgen

De part son incursion dans le monde des contes de fées, Once upon a Time est l’une des séries du moment à posséder un nombre record de personnages mauvais et ambivalents. Regina, Cora et Rumple incarnent à eux trois des personnages dont le côté obscur a fait son apparition pour différentes raisons. Alors que la première est une méchante « light » qui cherche avant tout à être aimée tout en faisant ironiquement le vide autour d’elle, les deux autres ont construit leur légende sur l’humiliation de trop qu’ils n’ont pas supportée. Qui plus est, la série de ABC est l’exemple même que les scénaristes n’excusent rien mais donnent simplement une matière fort riche au téléspectateur pour comprendre. Ce qui est d’autant plus intéressant.

BARBARA HERSHEY, LANA PARRILLA

Notons enfin qu’une série comme Homeland est basée, en tout cas à ses débuts, sur le possible machiavélisme de son héros. Est-il un gentil soldat de retour au pays ou un terroriste qui fomente le pire ? Là encore, les scénaristes prennent le parti de ne pas trancher car Nicholas Brody n’est ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre. Mais pourquoi, mais comment ? C’est là tout l’enjeu.

Cette évolution est tout ce qu’il y a de plus logique et normal. Et je dirais même que tout fan de séries doit s’en féliciter pour la simple et bonne raison que ces changements nourrissent encore davantage notre imaginaire, transcendent l’écriture sérielle et donne corps à notre passion pour des personnages exceptionnels. Et n’est-ce pas là l’un des buts ultimes de la série TV ?

Crédits photos: Collage JR-Charles Frémont © DR/France 3/  Le Gouverneur © AMC/ Once upon a time © ABC Studios/Michael Laugesen dans Borgen ©Mike Kollöffel / DR Fiktion / Arte/ Bates Motel © Universal Television